A l'heure qu'il était, mes frères étaient sans doute à bord du Poudlard Express.
J'imaginais très bien James entraînant Jupiter dans son sillage à bord du train pour aller saluer et échanger quelques mots avec ses amis et connaissances... à savoir la quasi-totalité des passagers en route pour le château. Ils en auraient au moins pour la moitié du trajet.
Sûr que j'étais soulagé d'échapper à la corvée politesse et amabilités. Mais, en dépit de tout, j'avais le cœur pincé à l'idée qu'ils effectuent ce trajet pour la première fois sans moi.
Du jour de ma naissance jusqu'à il n'y avait pas si longtemps, nous étions inséparables. Nous avions toujours tout fait ensemble, en trio, en osmose. Nos premiers mots, nos premiers pas. Toutes nos bêtises. Je crois même qu'à l'âge de sept ans, nous étions tombés amoureux à l'unisson de la fille des voisins qui, incapable de nous différencier, décida de nous aimer tous les trois. A l'époque, on s'en accoutumait plutôt bien. Mes parents ont encore quelques photos cuisantes de cette époque-là.
Nous avions fait notre première rentrée. Rejoint nos aînés à Poufsouffle. Expérimenté un premier séjour à l'infirmerie, Jupiter avec un nez cassé, James récoltant un léger traumatisme crânien et moi une côte fêlée, pour une sombre histoire de rivalité Serdaigle-Poufsouffle. Avions intégré l'équipe de Quidditch la même année. Et caetera. Trois en un, un en trois. J'imagine qu'en dépit de nos râleries perpétuelles, nous en tirions surtout un certain réconfort. J'avais toujours prôné mon droit à l'individualité mais il n'empêchait qu'avoir toujours une personne de confiance à ses côtés était rassurant. Je pouvais compter sur eux, ils pouvaient compter sur moi. Nous étions sur la même longueur d'onde et nous nous comprenions sans même nous parler. Bien que très différents de caractère, nous étions capables de percevoir les deux autres avec une acuité qui aurait inquiété quiconque d'extérieur à notre petit cercle. Nous étions un phénomène étrange qui intriguait, attirait ou inquiétait. Mais nous avions grandi, j'avais grandi, et l'éternelle présence de James et de Jörgen avait commencé à me peser. Un peu, puis de plus en plus. Peut-être parce que Toni était entrée dans ma vie. J'avais une nouvelle personne de confiance, même si je ne me l'avouais pas encore totalement.
C'était la raison pour laquelle je n'avais pas fait le trajet jusqu'à la gare de King's Cross, en fin de matinée. Nul besoin de Poudlard Express, puisqu'à Poudlard, j'étais déjà.
Après nos mésaventures au cours de l'année passée (notre petit séjour au Japon, l'accident de Toni et sa mémoire disparue), j'éprouvais une angoisse difficilement répressible à l'idée de la savoir seule dans le château. Seule signifiait sans moi. C'était la version officielle. Officieusement, je devenais tout simplement incapable de rester loin d'elle trop longtemps. J'en dormais mal, j'en mangeais plus. Même le Quidditch peinait à me distraire. Je devenais inattentif. Autant de symptômes pour me dire qu'elle me manquait.
Nous avions passé un bon morceau de l'été ensemble, à se partager entre ma famille et la sienne. En nous exilant autant que nous pouvions loin des regards, curieux, envieux ou observateur. Nos deux rentrées, le 1er septembre et le 6 octobre au soir, dressaient une infinité de jours entre eux comme une forteresse inviolable. Je savais avec certitude que je ne pourrais pas tenir aussi longtemps.
C'était James, toujours prêt à souffler un bon conseil ou à filer un coup de main, qui m'avait soufflé l'idée, fort de son activité associative et de son investissement au sein de l'école. L'idée était simplissime et difficile à refuser. Je m'étais tout simplement posté candidat au Bureau des Elèves et Etudiants. J'aurais accepté n'importe quoi. J'avais même postulé pour me charger de l'accueil des premières années et Merlin savait pourtant combien je détestais ne serait-ce que le concept. Par lassitude ou conviction, on avait fini par m'octroyer un petit poste d'entraîneur pour les équipes officieuses de Quidditch et l'ensemble des autres activités sportives proposées par le château. Quelques élèves tentaient en effet d'y intégrer des sports moldus comme le base-ball (mais je n'étais pas certain que les moldus utilisaient pour ce faire des battes de Quidditch et un cognard) ou le football. J'avais presque gagné sur tous les plans. J'étais près de Toni et je gagnais une misère pour faire quelque chose qui me plaisait un peu.
En ce 6 octobre, le temps filait pourtant doucement.
Nous étions mercredi et je venais tout juste de finir de surveiller l'équipe des premières années de natation. C'était tout nouveau. Un grand challenge qui réunissait les élèves non par maison mais par année. Et chacun semblait prêt à prouver que sa micro-génération était la meilleure. J'avais fait traîner les choses dans l'espoir que le temps passe plus vite. J'étais étrangement fébrile à l'idée que bientôt commencerait un nouveau cycle. Cela n'avait pourtant rien à voir avec la rentrée de mes onze ans. L'appréhension, le nœud dans l'estomac étaient de nature différente. Quelque chose qui me prouvait que j'avais grandi tout en restant le même. En
devenant le même, peut-être. Depuis Toni, je me sentais plus moi que je ne l'avais jamais été. Et ça n'était pas une simple conséquence de la fin de l'adolescence.
- Spoiler:
Only the begining... but well, I've begun before the end of march
...